Nature Morte de Giorgio MORANDI

Giorgio Morandi (1890-1964), né à Bologne, est l’ainé de cinq enfants. 
 
Il passe son enfance dans l’ancien Palais Bosisio de Bologne, détruit plus tard lors de la seconde Guerre Mondiale. Il a peine seize ans lorsqu’il entame  une carrière commerciale auprès de son père, mais il s’inscrit très vite l’Ecole des Beaux-Arts, car il manifeste déjà un véritable intérêt pour la peinture.
Après la mort du père en 1909, sa famille s’installe au 36, Via Fondazza dans le complexe du couvent de Santa Cristina, près de la Maison Carducci. C’est ici que Giorgio Morandi, alors âgé de vingt ans, passera toute sa vie.
 
Dès 1913, ayant obtenu son diplôme de l’Ecole des Beaux Arts, ses centres d’intérets, tels que les peintures de paysage, changent, au travers les contacts qu’il noue à partir de janvier 1914 avec les artistes  » Futuristes « , tels que Osvaldo Licini, Mario Bacchelli, Giacomo Vespignani et Severo Pozzati. Il se joint alors eux lors de plusieurs expositions ce qui l’amène au printemps 1914, exposer la Première Exposition Libre Futuriste, organisée  par la Galerie Sprovieri de Rome.
Peu de temps après, il est engagé par la ville de Bologne comme enseignant à l’école élémentaire en arts plastiques. Il exercera ce métier jusqu’en 1929. 
 
En 1915, il est appelé  sous les drapeaux, en raison de la guerre, mais après un mois et demi il tombe gravement malade et est réformé. 
 
Cette période jusqu’en 1918 le conduit à une réflexion sur son art et il est en même temps très impressionné par les oeuvres de Carlo Carr et de Giorgio de Chirico, qui apportent une nouvelle dimension à la peinture, celle d’une réflexion la fois poétique et métaphysique. 
 
Il produit à la suite de cette rencontre un ensemble de natures mortes fortement marquées par cette démarche introspective, à la fois poétique et conceptuelle.
A partir de 1920, Morandi semble vouloir se refermer sur lui-même, ses participations  aux expositions diminuent sensiblement, tandis qu’en 1930, la chaire des Techniques de Gravure de l’Académie des Beaux-arts de Bologne lui est confiée . Morandi y enseignera pendant 26 ans.
 
En 1939, la Quadriennale de Rome Morandi reçoit un second prix de peinture. La Seconde Guerre Mondiale éclate. 
 
En 1940 l’Italie entra en guerre et Morandi est contraint de se retirer avec sa famille dans le village de Grizzana. 
 
La guerre finie, il reçoit le premier prix la Biennale de Venise en 1948, le premier prix pour la gravure en 1953 et pour la peinture en 1957 la Biennale de So Paulo au Brésil.
 
D’importantes expositions lui sont ensuite également consacrées. 
Cette consécration lui vaut aussi des témoignages d’admiration du cinéma italien d’après guerre, avec des metteurs en scènes comme Zavattini, De Sica, Visconti qui souhaitait le voir travailler avec lui pour son film « Locandiera » en 1952, comme Fellini qui expose ses tableaux dans le film « La Dolce Vita » en  1960, ou Antonioni dans « La Nuit » en 1961.
 
Il est influencé par Cézanne auquel il emprunte la densité des couleurs et des formes, mais il s’engage aussi dans une approche personnelle très forte, marquée par une sensibilité formelle subtile et raffinée, tant au travers ses paysages que dans ses natures mortes très travaillées  par les innombrables nuances de ses couleurs et par leur dessin, conduisant le spectateur à une contemplation introspective, dans la suite des oeuvres des artistes de la Renaissance italienne.
 
Giorgio Morandi est malade depuis plus d’un an, lorsqu’il décède le 18 juin 1964, dans sa ville de Bologne qu’il n’avait jamais abandonnée, à l’âge de 74 ans
 
 
Nature Morte
 
 
Huile sur panneau 30,5 x 44, 5 cm – 1920 –
 
 
« Exprimer ce qui se trouve dans la nature, c’est à dire dans le monde visible, est ce qui m’intéresse avant tout », déclara Giorgio MORANDI, en 1957, dans un entretien.
 
Cette nature morte (l’une des très rares huiles sur bois de l’artiste), qui se résume à 4 objets de la vie quotidienne, aux formes strictement géométriques et traités dans une gamme de couleurs allant du blanc classé au brun le plus subtil, fait écho à cette déclaration en même temps qu’elle provoque chez le spectateur une fascination que l’on pourrait qualifier d’ordre métaphysique si ce terme n’ouvrait pas la voie à des malentendus.
 
Trouble et émotion nés de cette alternance de volumes et de vides dessinée et rythmée par ces objets, qui semble un discours sur la peinture, une démonstration sereine et fondamentale : derrière l’apparente modestie du propos, une vérité se cache. 
 
D’autant l’essentiel de l’oeuvre de Giorgio MORANDI se répartit en natures mortes comparables à celle-ci et paysages ; ce qui impose l’idée que cette concentration puritaine des sujets ne peut que servir un dessein, que cette auto limitation est au service d’une volonté de nuancer la leçon en d’infimes déplacements de son sujet, de variations sur la gamme des couleurs, de l’effleurement de la lumière, de la mobilité des formes, comme un bruissement dans le silence. 
 
En effet, plus attentivement on observe cette peinture de Giorgio MORANDI – et pas seulement celle-ci -, plus s’impose le sentiment qu’elle a une histoire, un passé, une généalogie. C’est-à-dire une universalité concentrée en une suite de formes d’apparence austère et presque anodine.
 
La confirmation de ce pressentiment, nous pouvons la trouver au Palazzo d’Accurso, à Bologne, qui abrite le musée consacré à Giorgio MORANDI, où cette peinture est conservée, car, outres ses oeuvres, on peut y voir aussi une partie de la collection de peintures et de dessins qu’il avait réunie. Quelques noms y stimulent la réflexion : Poussin, Corot, Seurat, Pissarro, Bonnard, Rembrandt, Tiepolo, Ingres, Renoir, Pietro Longhi, Jacopo da Bassano, et, plus inattendu, le Douanier Rousseau. Mais aussi des miniatures, notamment de l’école bolonaise, ainsi que, en petit nombre mais de la meilleure qualité, des vases grecs, dont certains venant des Cyclades. un intérêt prononcé de Giorgio MORANDI pour l’art ancien que confirment ses amitiés.
 
En effet, cet artiste au caractère réservé et dont l’art fut défini comme « difficile et secret » ne vivait pas dans une sorte de solitude sauvage, mais fréquentait des hommes tels que Roberto Longhi – qui provoqua un vif émoi en le déclarant digne de figurer au rang des maitres anciens -, Cesare Brandi ou Cesare Gnudi, qui ont magistralement renouvelé l’histoire de l’art en Italie. Une telle affinité d’ordre historique et esthétique incite à accorder une plus grande attention au fait que cette huile n’est pas exécutée sur toile mais sur un panneau de bois : pourquoi, en effet, le recours à cette technique archaïque, depuis 5 siècles abandonnée par les artistes, sinon parce qu’elle était partie intégrante de sa démarche ?
 
C’est alors que nous viendra peut-être l’étrange sensation que derrière ces humbles objets se dessinent des silhouettes familières. Par exemple celles d’« Adam et Eve chassés du Paradis terrestre » de Masaccio, à la chapelle Brancacci, à Florence …
Que voyons-nous sur cette fresque, que nous retrouvons dans cette nature morte ? 
 
Une lumière calme, qui n’éclaire pas tant les personnages qu’elle ne tourne autour d’eux et dessine ainsi une forme. Mais aussi des corps séparés par des vides, formant une scansion de volumes et de couleurs en tous points comparable à celle qui nous avait frappés devant cette nature morte. Un peu comme si Giorgio MORANDI avait repris une leçon en en isolant le noyau décisif pour revenir, par le recours à d’autres formes, à la question initiale de la représentation. 
 
De même , on peut aussi trouver une clef de l’énigme Giorgio MORANDI chez Giotto – mais on pourrait aussi citer Paolo Uccello -, avec cette façon de recourir à des formes massives, de délimiter tout ce qui n’est pas indispensable dans celles-ci, de bannir tout détail d’ordre décoratif et toute perspective superfétatoire, et de les inscrire dans l’espace avec une même simplicité, qui est l’évidence d’une logique esthétique dont le socle est le statisme : pour que la forme vibre, elle doit être fermement arrimée.
Démarche qui explique le recours à la figuration en une époque qui lui tournait le dos. Non certes par nostalgie ou par esprit conservateur, mais pour s’en tenir à l’essentiel.
 
Car cela est aussi la part secrète de Giorgio MORANDI : la volonté de la représentation n’est pas l’expression d’un refus, mais de reprendre son travail de peintre là où d’autres l’avaient mené : fixer une forme la plus conventionnelle qui soit en l’observant et en la transcrivant, jusqu’à ce point de concentration extrême qui fait que, même la plus banale, elle se révèle autre que ce que nous pensions qu’elle était. 

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