Madeleine pénitente de Georges de LA TOUR

Georges de La TOUR
 
 
Peintre français (Vic-sur-Seille, 1593-Lunéville 1652).
Illustre en son temps, puis complètement oublié, Georges de La Tour a retrouvé au xxe s. la place éminente qui lui revient dans l’histoire de la peinture française. Son œuvre, telle qu’elle a été reconstituée, est surtout faite de tableaux religieux et de scènes de genre.
 
Né dans une famille de boulangers, Georges de La Tour semble recevoir une bonne éducation et trouver en Lorraine un milieu propice à l’apprentissage de son art. Fixé en 1620 à Lunéville, la ville natale de son épouse, il obtient du duc de Lorraine d’importants privilèges qui vont lui permettre de mener la vie d’un noble fortuné.
Il conserve sa position après l’occupation du duché de Lorraine par les troupes françaises et, en 1639, il obtient même le titre de peintre ordinaire du roi. On ne connaît de lui qu’environ soixante-quinze œuvres – dont une quarantaine sont authentifiées. Les multiples répliques, telles que celles de son Saint Sébastien soigné par sainte Irène, sont la preuve de sa notoriété.
 
On distingue les scènes diurnes et les scènes nocturnes. Les premières sont traitées dans une lumière froide et claire, avec une précision sans concession (Saint Jérôme pénitent, 2 versions ; le Joueur de vielle). Les secondes sont baignées dans une lumière artificielle, afin d’exclure la couleur – une tache de rouge vif venant seule, d’ordinaire, animer la gamme des bruns – et de ramener les volumes à quelques plans simples (la Femme à la puce ; le Nouveau-né).
Le petit nombre de toiles clairement datées (Saint Pierre repentant 1645 ; le Reniement de saint Pierre 1650) ne permet guère de s’entendre sur une chronologie.
Il semble pourtant possible de distinguer une première période (1620-1630), nettement marquée par le réalisme d’inspiration caravagesque, peut-être découvert lors d’un séjour du peintre en Italie (1610-1616) : en témoignent notamment la série du Christ et les douze apôtres (cinq originaux conservés) ou le Saint Thomas du Louvre.
Au cours d’une seconde période, commençant au début des années 1630, Georges de La Tour semble évoluer vers un réalisme plus personnel, tel qu’il s’exprime dans le Joueur de vielle, déjà cité, ou dans le Tricheur à l’as de carreau. C’est en pleine gloire qu’il succombe, sans doute victime de la peste. Son fils Étienne, probablement son collaborateur depuis 1646, obtient à son tour le titre de peintre ordinaire du roi dès 1654.
 
Georges de La Tour fascine par sa rigueur géométrique et par son luminisme voué à l’essentiel. Il emprunte ses thèmes, volontiers répétés, au répertoire caravagesque des années 1610-1620 (la Diseuse de bonne aventure ; la Madeleine à la veilleuse).
Mais, au lieu de pousser ce répertoire vers le pittoresque comme la plupart de ses contemporains du Nord, il renoue avec l’esprit des premiers caravagistes et ramène la peinture à l’étude exclusive de l’âme humaine. Pour autant qu’on puisse en juger, il exclut anecdotes, figurants, décors et même paysages, quitte à rendre parfois ses sujets énigmatiques (Saint Joseph éveillé par l’ange). Son univers est sans doute le plus dépouillé qu’on puisse voir chez un grand peintre.
Georges de La Tour transcende le quotidien, fige jusqu’aux gestes les plus violents (Rixe de musiciens) et préfère d’ordinaire l’immobilité, le silence, la méditation. Il installe dans chacune de ses œuvres, qu’on devine lentement mûries, une nécessité plus rigoureuse encore que celle de son contemporain – et sur tant de points son contraire – Nicolas Poussin.
De là viennent la force que prend le moindre détail et l’audace exceptionnelle de compositions faites avec des moyens en apparence très simples (Job raillé par sa femme). De là aussi vient l’assimilation de nombre de tableaux (Saint Joseph charpentier ; Saint Jean-Baptiste au désert) au grand courant stoïcien qui traverse l’époque et à la mystique lorraine (saint Pierre Fourier).
 
Demeurée à l’écart des conflits pendant tout le xvie s., la Lorraine était un duché prospère dont le peintre Jacques de Bellange avait fait un foyer artistique renommé. Tout change à partir de 1633, lorsqu’elle est entraînée dans les horreurs de la guerre de Trente Ans. C’est l’incendie de Lunéville, en 1638, qui fait disparaître la plupart des œuvres de Georges de La Tour, poussant ce dernier à tenter de se trouver des mécènes à Paris. Le cardinal de Richelieu lui-même lui achète un Saint Jérôme.
Attaché au rang qu’il occupait à Lunéville, Georges de La Tour s’y réinstale en 1643. Il y est en grâce auprès du duc de La Ferté-Sénectère, qui gouverne alors la Lorraine au nom du roi de France. C’est de cette époque que date sa plus grande série de nocturnes.
 
 
 
Madeleine pénitente
 
 
 
Huile sur toile 133,4 x 102,2 cm – 1640 –
 
 
Des différentes peintures de Georges de La Tour sur le thème de Madeleine celle conservée à New York, découverte en Bourgogne en 1961, est certainement et à juste titre la plus connue et la plus énigmatique.
 
C’est une Madeleine qui vient à peine d’abandonner le métier de courtisane que nous voyons : son collier de perles posé sur la table, les cheveux défaits, elle porte encore la robe élégante seyant à sa profession.  Renonçant aux plaisirs stipendiés de la chair après avoir rencontré une ultime fois le Christ lors de la Résurrection elle s’apprête à consacrer sa vie à la pénitence et à la contemplation.
 
Dans cette composition d’une rigoureuse géométrie, c’est avant tout la lueur de la chandelle qui attire le regard, laquelle se reflète sur la surface d’un miroir, symbole de la vanité – allusion redoublée par le crâne – et témoigne de l’engagement spirituel de la pécheresse.
 
A dire vrai, Georges de La Tour – contemporain de Callot et des frères Le Nain – se fit une spécialité de peindre des chandelles et ne cessa d’exprimer sa virtuosité en jouant sur leur lueur au travers des mains comme dans leur reflet sur des visages, au point d’être parfois classé comme disciple lorrain de Caravage : en effet, si l’on ignore s’il séjourna en Italie, il pouvait néanmoins avoir eu connaissance de cette esthétique nouvelle grâce aux émules du génie italien travaillant dans le duché de Lorraine, où ils abondaient, comme aussi aux Pays-Bas. 
 
Toutefois, s’il fut indéniablement sensible à la question de la lumière, La Tour n’eut jamais le génie d’en faire l’instrument d’une révolution et s’en tint à l’anecdote, sinon à une forme de pittoresque ; lorsque Caravage l’utilise pour faire naître des formes et redéfinir son art, l’aimable lorrain s’en sert pour jouer sa « petite musique » certes charmante mais qui ne trouble guère : jamais le son délicieux de l’épinette ne couvrira la fureur de l’orgue. 
 
Le milieu du XVIIe siècle fut pour Madeleine un moment de gloire et à aucune autre époque on ne se plut autant à la peindre en France.
En effet, en ce temps de querelles religieuses et d’inquiétude spirituelle, des guerres de religion à la suppression de Port-Royal, elle incarne le pur amour en même temps que le pêché.
 
Ainsi, résumant la condition humaine, concentre-t-elle l’aspiration à s’élever vers Dieu, si bien qu’il est plus aisé de s’identifier à Madeleine, dans ses faiblesses qu’à Marie, dans sa mièvre perfection. De plus, nous incitant à la méditation, à laquelle rien de son passé ne semblait la prédisposer, elle nous encourage à emprunter ce chemin périlleux. 
 
Mais cette flamme ?  Et redoublée par le miroir …
Une flamme, c’est la vie vacillante, qu’un rien peut éteindre. La métaphore est usée au point d’être réduite à l’état de lieu commun. Une flamme se reflétant dans un miroir, c’est déjà une autre affaire. D’autant que celle-ci brille dans les ténèbres, qui sont le cadre du mystère de la vie, de la mort et de Dieu. 
 
Cette flamme, que peut-elle être sinon le point de concentration d’une réflexion et l’outil de la contemplation à laquelle Madeleine a choisi de se vouer ?
 
Mais se reflétant, cette flamme possède certainement un autre sens, qu’il convient de déceler. . .Trop habitués aux jeux de lumière de Georges de La Tour, sinon un peu lassés par leur usage systématique – presque un poncif – nous avons certes remarqué ce crâne et ce collier, mais sans leur accorder trop d’importance. Dommage, car c’est leur rapport avec cette chandelle qui constitue le message du tableau.
 
En effet, ainsi reliés entre eux, ils constituent une « vanité », c’est à dire ce modèle de nature morte allégorique (très en vogue au milieu du XVII ème siècle) dont le message est le vide de l’existence humaine, son absence de valeur autant que sa précarité. L’Ecclésiaste le proclame : « vanité des vanités, tout est vanité ». Vanité des biens terrestres qui exprime le caractère transitoire de la vie, et que l’allégorie a pour mission de sauver par la grâce de l’éternité. 
Cette flamme est un « mémento mori » (souviens-toi que tu vas mourir) se reflétant dans une illusion, car le miroir de la vanité ne réfléchit que l’instant : si la flamme s‘éteint, son image s’évanouit. 
 
Mais, si ce message nous est répété, c’est pour nous dire que ce reflet de ce qui n’est que transitoire est plus dérisoire encore puisque, disparaissant au même instant, il était apparu plus tard. 
 
Observons avec plus d’attention ce tableau et nous ne tarderons pas à constater que Madeleine ne regarde pas la flamme de cette chandelle, ni même son reflet dans le miroir, mais, au-dessus de celui-ci, ce pan d’ombre projetée qu’il découpe sur le mur. Est-ce que, pècheresse repentie, elle sait mieux qu’une personne commune la vanité des apparences, qu’elle vient de quitter et dont elle garde le souvenir dans son vêtement comme dans le collier qu’elle a posé sur la table ? Ne contemplant plus cette « vanité » mais au-delà, Madeleine affirme sa situation sur le chemin de la spiritualité, et, dans son cas particulier, qu’elle a renoncé aux extases charnelles pour s’apprêter à affronter les extases mystiques, qui ne sont pas sans liens. 

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